Jean-Paul Klée, poète

Jean-Paul Klée, poète

Le promeneur strasbourgeois

Le plus singulier, le plus ébouriffant, le plus dérangeant, le plus génial des poètes vivant sur le sol alsacien. Sa syntaxe et sa ponctuation n’ont, me semble-t-il, pas d’équivalent. Il écrit depuis plus de cinquante ans et n’a publié que trop peu de recueils. La poésie n’est pas rentable. Et la langue de Klée ne séduit pas les jeunes. Encore moins les aînés. Elle ne peut atteindre que les gens qui n’acceptent pas la dictature de l’amiante, du nucléaire, des OGM ou de la connerie télévisuelle.
Outre sa production, qui est immense mais trop largement inédite, Klée offre régulièrement aux amateurs de littérature des jugements enthousiastes sur les œuvres de ses confrères, ainsi que les précieux souvenirs de ses déclamations publiques, voix d’outre-limbes pour servir des poètes immémoriaux.

Daniel Ehret

 

STRASBOURG...
(extrait de "Poëmes de la noiceur de l'occident" )

ma ville a le visage d'üne vieille femme qui jamais ne me dira qu'elle
m' aime ?... ses rüelles ridées (les arbres-bras) les veines
bleutées la boule d'or de son oeil la fine chevelüre
des acacias mimosés tout cela je ne m'en lasse
pas, le bleu clair des yeux la variété de sa...
conversation & la blondeur / dü / Soleil qui caresse
les sourcils des galeries la peau blanche brüne
des vieilles maisons (les fleurs si rouges des greniers) la
statüe de Mozart qui hélas n'existe pas
encore & celle de Schiller ou Goethe Balzac Rousseau &
Victor Hugo, — n'oublions pas le magicien Cagliostro qui ?...
souvent je passe devant la madone qu'il aima, en face de
la maison où Gustave Doré découvrit le dessin / ô /...
fabüleuse Strasbourg citadelle béatifique où l'on
inventa l'imprimerie & les meilleurs canons d'Europe,
ville-des-Anges-dü-Démon (ni l'un ni l'autre n'ont
existé) Vieille ville qu'ont connüe Albert-le-Grand &
Dürer, le grand Albert Schweitzer (Calvinus) Erasme de
Rotterdam, — oasis des persécütés Jardin d'or de nos
DELICES, — tü es aussi la Ville de ma mère Mathilde,
oui, la grande « île » que je n'ai jamais pü
laisser derrière mes pas !...
© bf éditions, 1998

 

Bibliographie :
      
•     L'Eté l'Eternité, poèmes, Guy Chambelland 1970.
•     La Résurrection Alsacienne, poèmes,
Editions St-Germain-des-Prés, 1977.
•     Le Sacrifice de Jean Lumière contre Fessenheim-Hiroshima, théâtre, chez l'auteur 1977.
•     Lettre au jeune Fabien sur les douleurs de notre temps, chroniques, suivi d'un Appel à tous contre la bombe atomique, chez l'auteur 1979.
•     Requiem sur l'Europe à son lit de Mort, poèmes,
Editions St-Germain-des-Prés, 1983.
•     Journal du fiancé, journal de décembre 1979 à août 1980,
le Cherche-Midi éditeur 1985.
•     Mon Coeur flotte sur Strasbourg comme une rose rose, journal de novembre 1986 à février 1987, BF Editions 1988.
•     Poèmes de la noirceur de l'Occident, poèmes,
BF Editions 1998.
•     Rêveries d'un promeneur strasbourgeois,
La Nuée Bleue, 2001.
•     ...Oh dites-moi Si l'Ici-Bas sombrera ?..., Arfuyen, 2002
•     C'est ici le pays de Larizza, BF, 2003.
•     Trésor d'olivier Larizza, Editions des Vanneaux, 2008

 

 

La poésie de Jean-Paul Klée redore et magnifie un blason terni, celui du lyrisme. La poésie de Jean-Paul Klée bande. Souvenez-vous: « La vie ! la vie ! bander, tout est là. C’est pour ça que j’aime tant le lyrisme » (Flaubert à Louise Colet – ajoutant par ailleurs et malicieusement : « Je te baise partout. ») Il n’est pas hasardeux de citer celui-ci, quand celui-là déclare : « Et par-dessus tout, Flaubert ». Oui, poésie d’énergie lyrique car toute tendue, vers les femmes, les hommes, amoureusement et amicalement, amicalement et amoureusement, vers nos frères humains parmi lesquels nous vivons, tendue vers les autres, vers l’autre, dans tous les sens, tendue vers l’Autre ; un long déploiement de générosité ; Jean-Paul Klée avoue une foi inébranlable en l’amour et l’amitié. Pourtant, toute l’écriture de Jean-Paul Klée (jusque ses journaux, lettres, chroniques, son théâtre), vigoureuse et jubilatoire, et c’est son admirable force, est sous-tendue par la douleur extrême d’avoir perdu un père dans le camp de concentration de Struthof en 1943; elle travaille un manque immense. Secoué par un émoi durable, le fils porte le dernier souffle de son père, et par lui, le souffle et la parole de tous les pères et de toutes les mères et de tous les enfants exterminés dans tous les camps de concentration ou à Hiroshima ou au Vietnam ou en Serbie ou en Irak ou ailleurs. Il est animé d’une incontestable volonté d’étreindre la réalité la plus banale parce que dessous gisent les cendres encore chaudes de l’innommable que l’égoïsme humain menace de raviver; ce qui n’admet pas le refroidissement ni la demi-mesure; alors, il parsème le poème d’ü, et de… suivis d’ !!! et d’ ???, ô! Ses signes de vie.
Nous lisons le flamboiement brutal d’une vision tragique du monde et un non renoncement infatigable et conquérant, qui parfois rappellent Agrippa d’Aubigné et ses blessures ardentes qui sentent « La poudre, la mesche et le souffre. » Écrire pour atteindre le coeur des hommes, une illusion peut-être ; c’est pourquoi il n’y a d’autre alternative que l’intensité et jusqu’à rupture du sujet et mise en danger (militant jusqu’au-boutiste contre les établissements scolaires dits Pailleron, hautement inflammables). Jean-Paul Klée, écrit Valérie Rouzeau, est un « poète-ha! » ; il transforme le lecteur.

Jean-Pascal Dubost

Date

19 juin 2020

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